29 november 2012

Fundraiser for the restoration of the chapel of Bormenville

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Plaidoyer pour un plan Marshall culturel européen


(Conférence du 29.11.2012 à l’attention des membres du C.I.D.I.C)

Une vie humaine dure le temps d’un éclair : 42.000.000 secondes, 700.000 heures, 30.000 jours si vous avez l’intention d’atteindre l’âge respectable de 80 ans sans ennui de santé majeur.

Sur ces 30.000 jours, il faut compter une dizaine de milliers de jours (1/3) qu’on consacre à un sommeil réparateur ou agité.

Sur les 20.000 jours restants, il s’agit d’en déduire 4.000 (x2/3), à savoir les années de notre petite enfance et de notre enfance où nous sommes à la merci du monde des adultes, dans une situation de dépendance totale, je dirais même ‘totalitaire’.

Sur les jours restants, retranchons encore en moyenne 2.000 (x2/3) jours, ceux de la dernière ligne droite avant d’aller à la rencontre du Grand Mystère, l’époque où nous faisons connaissance de monsieur Alzheimer ou de madame Parkinson et que nous réapprenons parfois à porter des langes taille adulte que nous mettent des infirmières.

Nous avons donc environ 16.000 jours en solde créditeur pour vivre une vie de discernement et développer un potentiel qui varie grandement d’un individu à l’autre et qui dépend à la fois des aléas de la vie, de l’éducation,  de l’environnement culturel et de la période de l’Histoire dans laquelle on vit.

Autrefois, quand on atteignait l’âge canonique de 50 ans et qu’on avait expérimenté le départ d’êtres chers, emportés par la mort, on commençait à se poser certaines questions fondamentales du genre « d’où venons-nous, où allons-nous, que faisons-nous sur cette planète bleue, pourquoi tous les efforts d’une vie si nous devons tous mourir »

Chacun trouve tant bien que mal une réponse à ces questions que les animaux ne se posent pas, à savoir dans la Religion, dans le refus de toute Religion, dans l’alcool, la drogue ou le sexe, dans le travail acharné ou l’activisme social, à l’instar des fourmis qui ne possèdent pas ce kilogramme de cervelle - le record du monde - pour un poids moyen de 75 kg. Ce redoutable privilège nous rend d’ailleurs capable du meilleur (Jésus, Gandhi, Buddha) et du pire (Hitler, Staline, Mao) et explique sans doute que notre Créateur a limité notre temps sur terre pour empêcher d’y sévir trop longtemps, l’enfer étant pavé des meilleures intentions comme nous le savons tous.

« Seigneur, protège-moi de mes amis, je me charge de mes ennemis »

Si nous nous plaçons dans la perspective des peuples, les angoisses, les peurs, les espoirs, les rêves se déplacent au niveau collectif et s’intègrent dans les cultures pour longtemps. On ne change rien de moins vite que les idées et les idées reçues.

En Occident, nous aimons à nous faire peur, à parler de notre déclin « la Vieille Europe – le Vieux-Continent », à nous culpabiliser, à nous flageller de verges intellectuelles, voire idéologiques, héritage lointain de notre monde judéo-chrétien où l’homme est décidément pécheur.

Alors qu’en fait, nous savons tous que l’avenir n’est écrit nulle part, qu’il faut endurer pour durer et que rien ne sert d’espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer.

Un réflexe qui nous vient sans doute de notre héritage romano-grec ou qui résulte du simple bon sens et de l’observation.

Le Monde a toujours été « multipolaire » pour reprendre une expression à la mode et le restera aussi longtemps que les êtres humains auront comme critères d’appréciation une race, une ethnie, une religion, des croyances et idées distinctes, des langues différentes ou des habitudes culturelles qui s’expriment parfois de manière imagée. Voyez plutôt :

« En Belgique, on se sert la main, en Italie, on se tape souvent dans le dos, en Russie, on s’embrasse parfois sur la bouche, en Thaïlande, on lève les mains jointes, au Japon, on fait la courbette, au Tibet, on se tirait la langue, à Tahiti, on offrait au voyageur la femme du voisin »

Au XVIIIème siècle, l’Europe dominait déjà le monde grâce à sa suprématie technologique, en particulier dans le domaine maritime, le moyen de communication mondial par excellence de cette époque.

Cinq grandes puissances, la « pentarchie »,  s’y répartissaient le pouvoir, à savoir l’Angleterre, l’Autriche, la France, la Prusse et la Russie.

Aujourd’hui, six grands blocs dominent et/ou domineront sous peu le cours de notre destinée planétaire.

Passons-les rapidement en revue.


Il y a tout d’abord les Etats-Unis d’Amérique

9.363.000, 9.629.000, 9.829.000 km2

317 millions d’habitants titulaires du passeport, peut-être 325 ou 330 avec tous les clandestins et résidents

PNB : 15.300 milliards $, y compris les 200 milliards de $ qui remplissent annuellement les poches du million d’avocats qui ont remplacé le revolver comme moyen principal de régler les conflits dans la patrie d’origine des droits humains

Défis : consensus national devient de plus en plus difficile à trouver sans doute en raison de la diversité croissante de la population, endettement colossal financé par d’autres, gaspillages insensés ( par exemple ‘fast food’ et parc immobilier).  

Il y a ensuite l’Union Européenne

4.403.000 km2 si on accepte l’idée que la France s’étend sur 632.000 km2

502 millions d’habitants à l’heure actuelle, entre 540 et 850 millions de personnes si l’aventure commune continue …

PNB : 15.500 milliards $ - 16.000 milliards $, sans doute encore le 1er PNB mondial à l’heure actuelle

Parmi les sept langues dites ‘impériales’, cinq sont des langues européennes qui se sont implantées dans le monde entier depuis l’époque des grandes découvertes, grâce au colonialisme,  à savoir l’Anglais, l’Espagnol, le Portugais, le Russe et le Français.

Défis : il s’agit d’une construction en voie de devenir, unique en son genre, extraordinairement audacieuse, couronnée de succès à ce jour puisque tous les Etats du continent veulent rejoindre le train en marche, la Fédération de Russie exceptée ; à ce jour, il apparaît de plus en plus qu’il faudra choisir entre  ‘plus d’Europe’ (les Etats-Unis d’Europe, pays fédéral) ou ‘moins d’Europe’, ce qui pourrait fragiliser durablement le projet des pères fondateurs.

Le troisième larron est la  République Populaire de Chine, un pays continent, digne héritier de l’Empire mandchou, en situation de rattrapage historique suite à la tyrannie du Grand Timonier qui avait ramené son pays à l’âge de la pierre en quelques dizaines d’années, le succès économique de Taïwan  étant bien là pour nous démontrer ce qui aurait pu se passer autrement en Chine depuis la fin de la seconde guerre mondiale

9.581.000 km2, 9.596.000 km2

1.300.000.000 d’habitants, soit 18% de la population mondiale

PNB : 11.500 milliards $ avec l’objectif du Politburo de le doubler d’ici à 2020

Défis : absence de transparence, conflits programmés entre la côte et l’intérieur, corruption, méfiance grandissante des partenaires quant aux intentions du nouvel ‘HEGEMON’

Il y a encore et toujours la Fédération de Russie, en manque de respect et à la recherche d’une gloire perdue, celle du statut de superpuissance que ses dirigeants actuels essaient à tout prix de retrouver en faisant feu de tout bois pour reconstruire un pays qui s’appelait autrefois URSS et qui faisait la terreur d’une partie importante des peuples européens à l’exception des 28% puis des 22% de communistes français qui appelaient la marxisme-léninisme de leurs vœux.

17.095.000 km2, de loin le plus grand pays du monde

140.000.000 d’habitants

PNB : 2.450 milliards $, inférieur à celui de la République Fédérale Allemande (3.140 milliards)

Si nous comparons la Russie à l’Union Soviétique, notons que l’Union Soviétique s’étendait sur plus de 22.500.000 km2 pour une population de 270.000.000 d’habitants en 1982, les Etats-Unis n’ayant à l’époque qu’une population de 240.000.000 et la Chine venant à peine de dépasser le milliard.

La grande chance de l’Occident, de l’Europe en particulier, a été que les « camarades » se sont sabordés tout seuls, sans intervention extérieure, malgré des frontières aussi historiques, voire naturelles, que les Etats-Unis d’Amérique ou que la République Populaire de Chine.

Défis : population en déclin, absence de ‘rule of law’ qui décourage l’investissement étranger bien nécessaire pour moderniser l’économie, trop grande dépendance à l’égard des matières premières

L’Inde est le cinquième larron de la bande. Je serais plutôt tenté de parler du sous-continent indien car ce pays multiforme et multicolore n’est uni que depuis l’avènement du Raj et de la langue anglaise. Avec deux groupes ethniques principaux, à savoir les Aryens et les Dravidiens, cinq religions, quinze langues principales, l’Inde est déciment en situation de rattrapage historique et espère renouer avec un glorieux passé sans doute … moghol.

3.187.000 km2

1.250.000.000 d’habitants, soit une population qui dépassera sous peu la Chine pour un territoire trois fois plus exigu

Si on y ajoutait le Pakistan 804.000  km2 pour 180.000.000 d’habitants et le Bangla Desh 130.000 km2 pour 150.000.000 d’habitants, l’ancien RAJ aurait déjà dépassé la Chine depuis longtemps en terme de population ou plutôt de surpopulation.  

PNB : 4.500 milliards $, troisième PNB mondial avant le Japon (4.5) et l’Allemagne (3.1).

Défis : surpopulation, grande pauvreté endémique, système des castes, corruption et bureaucratie

Pour terminer la liste, ajoutons le Brésil, un immense pays de 8.514.000 km2 pour près de 200.000.000 d’habitants et un PNB de 2.325 milliards $ qui vient de dépasser le PNB anglais en 2011, désormais au 8ème rang.

Défis : intégration du Nord-Est du pays de manière durable, manque de discipline budgétaire, corruption, nationalisme économique

La grande question qui se pose pour les peuples européens est de savoir comment ils pourront se positionner dans ce nouveau ‘Great Game’ et comment ils sauront gérer ce nouveau rapport de force qui se dessine de manière très nette à l’aube du XXIème siècle.

Nos cartes sont encore très bonnes mais pour cela, il faudra qu’on reprenne confiance en nous, en nos immenses capacités, en notre esprit d’entreprendre et qu’on le fasse savoir urbi et orbi.

Rappelons-nous donc un instant ce que nous étions en 1912.

Qui décidait de la politique du monde ? Londres, Paris et Berlin

A quoi ressemblaient les cartes géographiques de l’époque ?

Le plus grand empire mondial était l’empire britannique qui connut son extension maximale après la 1ère guerre mondiale avec  près d’un quart de la superficie mondiale, soit plus de 33 millions de kilomètres carrés, et un cinquième de la population mondiale, soit plus de 450.000.000 millions.

Aujourd’hui le Royaume-Uni, peut-être bientôt désuni, s’étend sur une surface de 260.000 km2 pour 62 millions de personnes.

Il y avait également l’empire français, le second empire mondial, soit un dixième de la surface du globe avec 12.400.000 km2 et 110 millions d’habitants dans les années 1920.

La France métropolitaine de 2012 s’étend sur 543.000 km2 pour 65 millions de personnes.

Il y avait encore les empires   russe (130/21.5 mios km2), allemand (61/540 + 2.5 mios km2), autrichien (52/676), ottoman (21 millions en 1914/ 35.5 millions en 1856/ 15 millions km2 en 1566), portugais (2.1 mios km2), italien (2.5 mios km2), espagnol (0.3 mios km2), hollandais (2.1 mios  km2), belge (2.350 mios km2).

Décidément, la carte du monde était une carte très européenne, même si d’autres empires existaient  à l’époque, soit les empires chinois, japonais, éthiopien et américain, les Etats-Unis ayant annexé l’empire espagnol en 1898.

Il n’y a donc aucune raison de douter de nos capacités et de nos potentialités.

Après avoir planté le décor, essayons de traiter brièvement les cinq  problèmes majeurs, les cinq défis que nous, les Européens, devrons relever à l’heure actuelle si nous voulons encore peser d’un poids dans le monde de demain et nous faire entendre.

Ces défis s’appellent dans l’ordre :

La dénatalité ou le déclin démographique

L’immigration, son corollaire

L’endettement et les déséquilibres budgétaires

La désindustrialisation

La défense

 

La dénatalité ou le déclin démographique

Ce problème préoccupe peu de monde pour l’instant ; certains s’en inquiètent, d’autres se réjouissent du fait que notre planète étant déjà ‘surpeuplée’, il faudrait  arrêter de se multiplier comme des lapins ou des petits pains.

En fait la surpopulation est une notion qui varie avec le temps et l’évolution des technologies, en particulier agricoles.

C’est ainsi que le Japon comptait pendant des siècles entre 20 et 30 millions d’habitants. Dans les années trente, la faction dite ‘de contrôle’ (Tojo) et la faction dite de ‘la voie impériale’ (Araki) préconisaient un Empire étant donné le surpeuplement du pays avec 68 millions d’habitants. A ce jour, le Japon a perdu son empire et compte 127 millions de personnes.

Et pourtant il est permis de penser ce qu’il adviendra de nos systèmes de sécurité sociale si nous continuons sur la voie de la déresponsabilisation individuelle et comptons toujours sur les enfants des autres pour payer nos pensions.

En effet, il est permis de se demander pourquoi nos enfants devraient payer les pensions de gens que nous ne  connaissons pas au lieu de s’occuper un peu du bien-être de leurs parents qui se sont souvent coupé en quatre pour les ‘lancer’ dans la vie en leur consacrant affection, temps et argent. Auparavant, cette question ne se posait même pas, la réponse était évidente.

Par ailleurs, on pourrait augmenter encore le nombre des ‘travailleurs immigrés’, ce qui impliquera également un coût très important pour les sociétés d’accueil comme nous l’apprenons peu à peu depuis les troubles qui ont égayé les banlieues françaises en 2005 et qui les égayeront encore longtemps à l’avenir.

Il serait peut-être utile d’imaginer ce qui pourrait motiver les jeunes parents d’avoir à nouveau trois, voire quatre enfants afin de rendre l’avenir un peu plus supportable, donc moins onéreux, pour la jeunesse de demain avant qu’elle ne se rebelle et refuse un contrat social inique, imposé par leurs aînés, hédonistes et égoïstes, dignes héritiers de mai 1968.

A cet égard, le France est sans doute la seule puissance européenne qui attache encore de l’importance à sa santé démographique. En 1962, le premier ministre Michel Debré a été le seul politicien européen à souhaiter 100 millions de Français pour son pays.

En effet, l’élite politique française se souvient peut-être encore d’un pays, première puissance démographique du Moyen-Âge au 19ème siècle, qui a perdu sa place au profit de l’Empire allemand.  A la veille du premier conflit mondial, le 2ème Reich comptait 61 millions d’habitants pour 39 millions à la France et ceci explique partiellement les emprunts russes, l’obsession de la trouée de Belfort, la politique étrangère des radicaux-socialistes n’hésitant pas à pactiser avec le tsarisme considéré rétrograde par les premiers, la guerre sur deux fronts que seul l’empire wilhelminien a pu mener avec succès jusqu’à la déclaration de guerre des Etats-Unis à l’Allemagne le 2 avril 1917.

A en croire les statistiques, en 2057, la France dépassera à nouveau l’Allemagne dont la natalité est en chute libre (sans doute une conséquence du second conflit mondial) et reprendra son rôle de leader en Europe. Il est vrai qu’elle sera sans doute davantage ‘multiculturelle’.

L’immigration

L’immigration/émigration est un problème planétaire qui concerne sans doute 200 à 300 millions de personnes dans le monde.

Ce phénomène ne va pas sans heurts, que ce soient les émeutes racistes en Chine ( 24.12.1988)  ou en Lybie (2011) à l’encontre des immigrants africains, les expulsions massives d’étrangers ordonnées par les gouvernements nigérians ( 1 à 2 millions/1982) ou malais (400.000/2005), les conflits sanglants opposant les travailleurs zimbabwéens et mozambicains ( notamment mai 2008) à leurs collègues sud-africains, le sort parfois tragique réservé aux travailleurs philippins et indiens dans les pays du Golfe.

En Occident, le discours à l’égard de l’immigration est un discours multiple.

A droite, on distingue un discours plutôt xénophobe dans ce qu’il est convenu d’appeler la droite ‘dure’ qui s’inquiète surtout de la perte de l’identité nationale tandis que la droite ‘molle’, la droite des affaires, a été et demeure très ouverte à l’immigration « bon marché » lui permettant d’assurer la pérennité des bénéfices et d’engranger des dividendes.

A gauche, on distingue un discours plutôt musclé des syndicats ouvriers qui préfèrent assurer un monopole de la force de travail et protéger ainsi leurs membres contre la sous-enchère en provenance de l’étranger.

Par contre,  la gauche ‘caviar’, celle des beaux quartiers, a accueilli et continue d’accueillir bien volontiers toute la misère du monde pour autant qu’elle ne dérange pas.

En 1965, le président américain démocrate Lyndon Johnson faisait passer une loi qui allait révolutionner à jamais son pays et l’éloigner peu à peu de l’Europe.

A l’époque, l’attention avait porté sur le Civil Rights Act de 1964 qui mettait fin à la discrimination raciale à l’égard de la minorité noire dans les lieux publics et leur donnait un droit d’embauche égal à celui des blancs (equal employment opportunity). En 1965, un Voting Right Act fût également adopté et interdit les entraves au droit de vote (literacy test, poll tax) afin de permettre à la minorité d’exercer ses droits.

Par contre, l’Immigration and Nationality Act (1965) retint beaucoup moins l’attention. Cette législation supprimait le quota instauré par l’Immigration Act de 1924 qui donnait de fait la préférence à une immigration en provenance d’Europe du Nord, la majorité de la population américaine étant précisément originaire de cette partie du monde.

Désormais, un nouveau système fût mis en place qui favorisait l’arrivée d’une immigration basée sur le savoir-faire (skills) et sur les liens de famille existant avec des citoyens américains ou des résidents de ce pays. A l’origine, il avait été prévu de ne laisser entrer que 170.000 personnes par an avec un quota par pays.

Pour convaincre la population américaine, majoritairement opposée à cette législation, la classe politique démocrate libérale, notamment Dean Rusk et Ted Kennedy,  assurèrent les électeurs que la culture américaine n’en serait pas affectée et qu’il ne fallait pas s’attendre à de grandes modifications dans la composition de la population.

En réalité, la population américaine connut une évolution semblable à celle qui se produisit entre 1870 et 1914 où  entre 30 et 40 millions d’Européens émigrèrent vers le monde nouveau.

Cette fois, l’immigration vint surtout d’autres continents, d’Amérique latine et d’Asie.

Si en 1960, les Américains d’origine européenne représentaient encore près de 90% de la population totale, leur pourcentage ne représente plus que 66% en 2012, 15 % allant aux Hispaniques et 13% aux Afro-américains, le reste aux Asiatiques et aux peuples indigènes.

Hawaïi, la Californie, le District of Columbia, le Nouveau-Mexique, le Texas depuis 2011 ont des majorités dites ‘minoritaires’.

Sur un million de nouveaux immigrants en 2011, à peine 10% venaient encore d’Europe.

En 2011, plus de la moitié des nouveaux nés venaient des minorités nationales, une première dans l’histoire des Etats-Unis.

L’Européen pétri d’histoire ne peut s’empêcher d’imaginer d’insurmontables problèmes communautaires poindre leur nez dans la patrie de l’oncle Sam à l’occasion d’une crise économique prolongée par exemple où les réflexes de solidarité identitaire pourraient devenir plus forts que les réflexes de solidarité nationale.

La Californie, le plus grand état fédéré, est en faillite virtuelle depuis de nombreuses années, faute de consensus politique qui doit en partie trouver sa source dans cette tour de Babel humaine aux intérêts sans doute divergents.

Depuis la seconde guerre mondiale en particulier, l’Europe vaincue est à la traîne de nos – de moins en moins – cousins d’Amérique et se plaît souvent à y chercher des sources d’inspiration.

Pour des raisons de facilité, à l’opposé des Japonais et des Coréens qui ont assuré leur développement sans faire appel à l’immigration étrangère, nous avons largement ouvert nos frontières, également depuis les années soixante.

Le fait de vouloir s’assurer les services d’une main d’œuvre bon marché prête à tout, le refus de mieux payer des travaux pénibles en raison justement de cette disponibilité, le désir de s’acheter de nouvelles clientèles électorales, un sentiment de culpabilité très fortement ancré dans le discours soixante-huitard, d’anciens liens personnels établis avant la fin de l’époque coloniale permettent d’expliquer ce phénomène.

A ce jour,  un peu à l’instar des Etats-Unis,  de nombreux pays européens accordent le passeport sur base du ‘ius soli’ (‘droit du sol’) qui vous confère la citoyenneté. Un enfant d’étranger né dans le pays devient donc automatiquement citoyen sans qu’on exige le moindre engagement personnel de sa part afin de s’assurer de sa volonté et de sa capacité d’intégration dans sa communauté d’accueil.

Auparavant, le ‘ius sanguinis’ était plutôt la règle que l’exception, à savoir le passeport était octroyé sur base de la filiation.  Dans les pays où ce système était d’application, il était également possible d’obtenir un passeport sur demande mais il fallait remplir des conditions relativement strictes et faire preuve de patience.

En Europe, on préfère se voiler la face que d’appeler un chat par son nom, même si des voix de plus en plus nombreuses se font entendre au sein de la société civile pour dénoncer un malaise grandissant.

En effet, l’absence d’une réflexion de qualité en la matière nous a conduit à une situation relativement préoccupante dans la mesure où de vastes segments de population importée refusent, en raison de leur nombre et de l’inévitable « ghettoisation » qui en découle, de se plier à la règle de la population d’accueil, ce qui provoque déjà et provoquera encore davantage une réaction négative des majorités, avec des coûts dont on ne peut pas encore mesurer toute l’ampleur.

Le déséquilibre budgétaire et l’endettement

A l’école, nous apprenons que 1+1 font deux ; ensuite, nous réalisons que l’on peut faire dire aux chiffres ce que l’on veut, en particulier dans le domaine financier où les gouvernements et autres opérateurs privés nous font régulièrement prendre des vessies pour des lanternes.

Et pourtant, nous savons tous que nous ne pouvons pas vivre au-dessus de nos moyens, à moins de faire porter le chapeau par d’autres. Par la génération future ou par les 20% des contribuables occidentaux qui payent les 80% de l’impôt sur le revenu.

Ou alors par des investisseurs avides de profit (« greed overcomes suspicion ») qui doivent accepter de perdre leur mise, la définition du capitalisme étant interprétée différemment selon que vous êtes aux USA (positive mental attitude with other people’s money) ou en Europe (socialisation des pertes et privatisation des bénéfices).

En 2007, nous avons connu une crise financière, une de plus, et comme d’habitude, elle a trouvé son origine aux Etats-Unis, à l’instar de la crise des S&L américaines en 1983, de la chute brutale du Dow Jones en 1987, de la perte de 100 milliards engrangée par le Fonds LTCM du gourou financier John Meriwether en 1998, de l’éclatement de la bulle ‘New Economy’ au début des années 2000.

Cette nouvelle crise financière trouve son origine dans la tentative à la fois généreuse et purement électoraliste de l’équipe Clinton dans la mesure où  le secrétaire d’Etat au logement Henry Cisneros a demandé aux instituts hypothécaires étatiques, Fannie Mae et Freddie Mac, dirigés par des démocrates, de revoir à la baisse les critères d’admission du crédit hypothécaire, ce qui a provoqué une bulle immobilière d’autant plus  que l’argent ne coûtait presque rien grâce à un autre démocrate très populaire et pour cause, le président de la Federal Reserve Bank, Alan Greenspan. Cet argent bon marché a encouragé les gens à emprunter et les investisseurs à chercher des alternatives plus rentables que les livrets d’épargne. Si vous ajoutez à ce cocktail mortel, la croyance idéologique largement partagée par les républicains que « l’Etat est le problème, pas la solution », et que les marchés s’autorégulent comme par miracle, vous avez déjà en mains une partie de l’explication, les « collateral debt obligations » de Goldman&Sachs et les « credit default swaps » d’ A.I.G faisant le reste.

A ce jour, les mesures de renforcement du capital propre des banques dites Bâle III, la proposition Volcker d’interdire les opérations financières per conto suo ainsi que le projet du tandem Frank-Todd (F-T Wall Street Consumer Protection Act) d’instaurer à nouveau une séparation entre la banque d’affaires et la banque traditionnelle à l’instar du Steagall&Glass Act de 1933 n’ont pas encore été prises par la communauté financière internationale.

Les Etats ont dû intervenir pour soutenir les grandes banques et les opérateurs financiers se sont alors brusquement aperçus de l’importance de la dette publique, ce qui a contribué à son renchérissement.

Enfin, des doutes sont apparus au grand jour quant à la viabilité de l’EURO étant donné que les économies nationales n’étaient pas coordonnées, les pays du Sud  s’endettant et dépensant davantage que ceux du Nord.

En résumé, VIVE LA CRISE : nous avons récolté ce que nous avons semé depuis une cinquantaine d’années et nous serons forcés de porter un regard nouveau sur notre modèle économique.

Certains voudraient relancer la machine  économique en faisant marcher la planche à billets  et en nous endettant encore davantage à court terme.

Espérons au contraire que nous saisirons cette chance historique qui nous est offerte pour repenser une fois pour toute un modèle économique, la « société dite de consommation », qui vient d’Outre Atlantique et que nous avons accepté bien volontiers aux lendemains du second conflit mondial.

Espérons que les gaspillages de tout genre, le crédit à la consommation, l’endettement croissant feront place à la gestion durable de nos ressources, à l’écologie bien comprise, à un nouveau souci de qualité pour des produits qui devraient être fabriqués chez nous et pas ailleurs.

Car le citoyen doit reconquérir sa place au détriment du consommateur.

La désindustrialisation

Pendant des années, les grands pontes de l’économie de marché nous ont rebâché les oreilles sur la division mondiale du travail.

A nous les rentabilités de 25% sur le capital investi dans le secteur financier et immobilier.

Au Tiers-Monde, les usines qui polluent et le travail à la chaîne.

Il faut dire qu’au cours des années septante et quatre-vingt nos syndicats et nos patronats n’ont pas contribué à forger un climat social favorable pour assurer la pérennité de nos outils de production industriels.

Avouons que nous avons joué aux enfants gâtés pendant plusieurs décennies.

A ce jour, constatons que la Chine est devenue l’usine du monde et que ce pays dispose d’une liquidité avoisinant les 3.200.000.000 $, en fait notre argent, puisqu’elle affiche un bilan commercial largement excédentaire avec ses partenaires commerciaux depuis son ouverture sur le monde en 1978.

La Chine pratique une politique industrielle étatique qui rappelle furieusement l’époque du Colbertisme où la France s’enrichissait aux dépens de l’Espagne en lui vendant ses produits manufacturés en échange de son or.

En Europe, seule l’Allemagne a gardé un outil de production industriel équivalent à un petit 30% de son PNB, ce qui lui permet de rester le second plus grand exportateur mondial après la Chine et d’afficher une bonne santé économique si on fait abstraction de son endettement massif et de ses énormes obligations financières vis-à-vis de ses partenaires européens.

La Défense

‘Si vis pacem, para bellum’ disaient déjà les Romains.

A ce jour, les Etats-Unis d’Amérique assurent plus de 70% du budget de l’OTAN contre 50% en 1991. En 2011, le secrétaire à la défense américain, Robert Gates, mettait en garde les alliés européens et critiquait le fait que les Européens consommaient davantage de ‘défense’ qu’ils n’en produisaient.

En Bosnie et au Kossovo, l’OTAN a violé le veto du conseil de sécurité (veto russe) pour porter secours aux Bosniaques et aux Kosovars. A l’époque, cela n’a choqué personne, contrairement à la seconde intervention américaine en Irak où ceux qui avaient le plus à perdre financièrement d’une intervention américaine ont joué aux vierges effarouchées.

Quand je parle de l’OTAN, je devrais plutôt parler des Etats-Unis car c’est ce pays qui a mis son immense puissance militaire, en particulier son aviation incomparable, à disposition de ses alliés sans les faire passer à la caisse de manière substantielle ;  les accords de paix furent signés à Dayton (21.11.1995) et à Kumanovo (10.6.1999).

Et je devrais également rappeler la honte de Srebrenica où les Européens, en position de faiblesse, ont laissé froidement massacrer 7.000 Bosniaques par les irréguliers serbes, le plus grand massacre sur le sol européen depuis le second conflit mondial.

Il serait utile de s’imaginer ce qui se serait passé si Usama Bin Laden s’était attaqué aux parlements français, allemands ou anglais en y faisant écraser ses avions au lieu de commettre l’idiotie de s’en prendre de manière spectaculaire à King Kong, à la première puissance mondiale, qui lui a bien rendu la monnaie de sa pièce.

Qu’aurions-nous pu faire du haut de notre ‘faiblesse’ militaire en pareil cas, nous les donneurs de leçons ?

En 2011, quelques pays  de l’OTAN portèrent secours aux rebelles libyens retranchés à Benghazi mais outrepassèrent clairement le mandat de l’ONU. La faiblesse des armées européennes a de nouveau été patente dans ce conflit local.

Depuis la fin du second conflit mondial règne la ‘pax americana’ que nous tenons pour un acquis, pour quelque chose qui va de soi.

La cinquième flotte basée à Bahreïn assure l’approvisionnement mondial en pétrole.

La sixième flotte basée en Italie (Gaeta) assure la sécurité en Méditerranée.

La septième flotte basée dans le Pacifique assure le maintien des voies de communication en mer de Chine du sud.

En 1991, les Américains faisaient passer à la caisse les Allemands et les Japonais qui n’avaient pas envoyé de soldats dans ce qu’il est convenu d’appeler la première guerre du Golfe.

Que se passerait-il si les Américains refusaient tout simplement de payer pour assurer notre défense ou demandaient à leurs alliés de participer au coût du maintien de leurs flottes de manière plus significative ?

Personne n’a osé aborder la question, je crains même que personne n’a pensé à pareille éventualité.

Tenter de définir les problèmes de l’heure est une chose, tenter de les résoudre de manière concrète, voire de les prévenir est une autre paire de manches.

Il paraît que celui qui oublie les leçons de l’histoire est condamné à la revivre.

Le système politique de démocratie parlementaire dans lequel nous vivons présente de grands avantages que nous apprécions à sa juste valeur, à savoir la séparation des pouvoirs, les droits de l’homme, l’état de droit, la solidarité sociale qui s’exprime par la redistribution de l’impôt pour assurer le paiement d’allocations-chômage et de pensions de vieillesse, la santé pour tous.

Par contre, ce système montre des faiblesses évidentes car il n’a pas pu prévenir les cinq défis majeurs exposés ci-dessus, tout simplement parce que nos responsables politiques, souvent d’excellente formation et pleins de bonnes intentions,  sont enfermés dans un système de particratie qui ne représente plus véritablement leurs électorats. Surtout, le système les empêche de travailler dans le long terme et les pénalise quand ils ont la malheureuse idée de prêcher l’austérité, voire la prudence quand c’est nécessaire.

‘Panem et circenses’, du pain et des jeux, demeure la formule magique qui permet d’assurer une certaine longévité politique aux adeptes des populismes.

Il est effectivement beaucoup plus facile de pratiquer ce qu’il est convenu d’appeler l’ingénierie sociale de redistribution de richesses  -- si possible, celle des autres - que de création de richesses.

Or, les crises financière, budgétaire puis monétaire auxquelles nous sommes confrontés depuis 2007 devraient nous faire réfléchir sérieusement quant à une réforme en profondeur de nos institutions.

Tirer les leçons du passé pour préparer l’avenir me semble une tâche extrêmement ardue, d’autant plus que ‘nul n’est prophète en son pays’, Jésus-Christ étant le mieux placé pour le savoir.

Nous avons besoin d’une véritable révolution culturelle afin de modifier tout d’abord notre comportement individuel, puis collectif afin de préparer le renouveau indispensable de notre chère Europe. D’où le titre de notre conférence ‘ De l’utilité d’un plan Marshal culturel européen’.

En 1947, l’initiative du brillant secrétaire d’Etat américain, le général Georges Marshall avait permis à l’Europe ruinée de se redresser en lui mettant à disposition (20% remboursé dans les années soixante, le solde étant considéré comme don) un montant de 13 milliards de $ (UK : 3.2, France : 2.45, Italie : 1.4, Allemagne : 1.3, Hollande : 1.1).

Dans notre cas, ce plan Marshall culturel européen ne viendra pas d’un gouvernement étranger ni de nos propres gouvernements empêtrés dans des difficultés parfois insurmontables, à moins qu’ils ne soient contraints par la pression extérieure de réagir à des événements plutôt qu’à les anticiper comme le gros bon sens collectif l’aurait fait espérer.

En fait, c’est à la société civile qu’il appartient et qu’il appartiendra d’agir.

Je pense particulièrement aux universités, ces institutions étant peut-être les seules à pouvoir penser dans le long terme. Je pense également à toutes les associations locales et régionales qui permettent encore aux collectivités de se mobiliser.

Je pense encore et surtout à nous tous qui devons chercher des opportunités pour nous rendre utiles et ranimer les braises qui couvent sous la cendre.

C’est une démarche certes difficile car, même si la bonne volonté ne fait pas défaut, il y a de la marge entre parler et agir selon un concept afin de faire bouger les choses.

Rien ne sert de maudire les ténèbres, mieux vaut allumer une chandelle et c’est la raison pour laquelle nous avons créé toute une série d’initiatives, présentées aujourd’hui dans le cadre des fondations d’Arenberg afin de promouvoir l’Histoire et la Culture dans la mesure où nous sommes convaincus que le premier pas de la Renaissance Européenne consiste à remettre notre Histoire et notre Culture au cœur du débat sociétal dans un esprit critique.

Je vous présenterai brièvement ces activités en guise de conclusion afin de vous donner quelques idées pratiques mais auparavant j’aimerais insister sur l’importance de notre démarche de manière générale.

Pourquoi s’investir pour la Culture ? parce que c’est sans doute le dernier « espace citoyen » qui existe dans notre société où nous ne communiquons plus vraiment. En effet, de nos jours, chacun peut se permettre le luxe de vivre dans ‘sa’ bulle’, dans son appartement, dans sa voiture, dans son bureau, dans son cercle de relations professionnelles et familiales. Une manifestation culturelle de qualité par contre ( Le jubilé (800 ans) de la Ville d’Aarschot, Vlaams Brabant, un concert public à Antweiler, Eifel) rassemble des gens d’horizons divers autour d’un thème qui intéresse. Elle assure une vraie ouverture vers l’autre et un espace de rencontre où vous pouvez vous entretenir avec de vraies personnes -non virtuelles - qui proviennent d’univers que vous ne fréquentez pas tous les jours mais qui habitent près de chez vous et qui s’intéressent à des thèmes qui vous sont chers.

Pourquoi s’investir pour l’Histoire ? parce qu’elle seule nous permet le ‘discernement’, à savoir la capacité de resituer des événements dans leur contexte chronologique, géographique et culturel afin de mieux les comprendre et de porter un jugement plus serein. La connaissance historique nous permet également d’accéder à un niveau supérieur de la conscience.

Laissez-moi vous donner cinq exemples:

Prenons tout d’abord le colonialisme européen du XIXème siècle.

Tout d’abord critiqué à l’époque par un grand nombre de contemporains qui ne voulaient pas entendre parler d’aventures en Outre-Mer, l’aventure coloniale fût portée aux nues par des politiciens, des écrivains et des journalistes – le fardeau de l’homme blanc – une fois les conquêtes achevées.

Après la seconde guerre mondiale, les mêmes acteurs se mirent à émettre doutes et critiques, d’autant plus que nos ‘amis’ américains et ‘ennemis’ soviétiques se rangèrent résolument du côté des peuples colonisés pour différentes raisons.

Les Américains gardaient en mémoire leur guerre d’Indépendance et les Soviétiques défendaient une idéologie anti-impérialiste. En fait, deux nouvelles Grandes Puissances avaient décidé de remplacer d’anciennes Grandes Puissances.

Une période d’intense culpabilisation s’ensuivit où la repentance et la malhonnêteté intellectuelle devinrent à la mode dans nombre de cercles intellectuels occidentaux.

Je me rappelle encore avec stupéfaction de la page de couverture du journal ‘Le Monde’ où le journaliste Patrice de Beer célébrait la prise

de pouvoir des Khmers rouges à Pnomh Penh le 17 avril 1975 et de l’attitude d’un certain professeur belge, juriste renommé et spécialiste des droits de l’homme qui n’hésita pas à devenir membre d’un comité Belgique-Kampuchéa «démocratique».

Si vous êtes intéressé par l’Histoire, vous ne pouvez pas en rester là car les questions se posent :

En effet, on peut définir le colonialisme comme un système politique dans lequel un « pays-mère » européen contrôle des territoires lointains séparés par des mers mais il est également possible de le définir dans un sens plus ‘romain’, dans la mesure où un peuple en colonise un autre, càd occupe son territoire et change sa culture.

On observe alors que le colonialisme prospère encore de nos jours, même si peu de bonnes consciences occidentales semblent s’en émouvoir.

Après la visite ‘musclée’ du commodore américain Perry en 1854, le Japon, fait unique dans l’histoire du monde, décida de se moderniser de par sa propre volonté. Ce fût le début de la période dite ‘Meiji’ (1868-1912). Bientôt l’armée japonaise modernisée s’empara du nord de l’île de Honshu en … 1869, de l’île d’Hokkaido et des îles Ryu-Kyu en … 1879 et cela trois ans seulement après la célèbre escarmouche où le lieutenant-colonel Georges Custer fut tué par les Indiens Sioux sur la little Big Horn river, le 25 juillet 1876.

Mais où survit la population indigène qui habitait tout le Japon au VIème siècle, puis le nord du Japon au XIXème siècle ? Combien d’Aïnous, c’est d’eux dont je parle, survivent encore de nos jours ? Sans doute moins de dix mille contre plus de trois millions d’Indiens américains qui – comme vous pouvez vous en rendre compte – n’ont pas tous été exterminés. En fait, leur nombre a été multiplié par dix.

Quand les Portugais découvrirent l’île de Formose -ilha formosa, la belle île-  dans les années 1550 et que les Hollandais les suivirent au début du XVIIème siècle, il n’y avait pas de Chinois qui vivaient sur ce qu’on appelle aujourd’hui Taïwan.

Les premiers Chinois, des commerçants et des réfugiés, arrivèrent au moment de la conquête mandchoue en 1644 et à nouveau, en 1948, quand trois millions de partisans du Généralissime Tchang Kaï-Chek se retranchèrent dans l’île.

Les peuplades austronésiennes ne furent pas mieux traitées que les peaux-rouges américains mais que savons-nous d’eux ? Cinq cent mille survivent de nos jours, sur une population totale de 23 millions.

La Chine elle-même est la digne héritière de l’Empire mandchou qui conquit la Mongolie intérieure entre 1635 et 1911, le Sinkiang             (territoires nouveaux) entre 1759 et 1885, le Tibet entre 1951 et 1959. Le nom de Mandchourie demeure encore sur les cartes de géographie. Mais où vivent les Mandchous de nos jours ? Y-a-t-il encore des Mandchous ? Sont-ils autorisés à parler leur langue ? Essayez donc d’en savoir davantage et faites-le moi savoir.

Si nous nous déplaçons vers le Sud, vers le Vietnam par exemple où vivent de nombreux peuples minoritaires, rappelez-vous que les Khmers Krom occupaient tout le delta du Mékong et que le Cambodge a dû céder par traité toute la région aux Vietnamiens en 1845, peu de temps avant l’arrivée des Français. De nos jours, ils ne représentent plus qu’un million d’habitants sur 20.

Quant à l’Indonésie, posons-nous la question de savoir qui a remplacé les Hollandais après 1949.

Peut-être les Javanais qui ont repris à leur compte cet empire commercial, créé par le colonialisme européen dès le  XVIème siècle à leur propre compte ? Si vous demandez aux Papous des provinces indonésiennes de Papua et West Papua, annexées par l’Indonésie en 1962, ce qu’ils pensent du programme de ‘transmigratie’ qui fait venir à tour de bras des colons javanais et sondanais dans leurs terres afin de les minoriser, vous pourriez obtenir une réponse intéressante comme cela m’est arrivé il y a une vingtaine d’années.

L’Iran est le digne successeur de l’Empire Séfévide et les populations minoritaires privées d’autonomie -Azéris, Kurdes, Arabes et baloutches- représentent plus de quarante pourcent de la population totale.

En Afrique du Nord, les conquérants arabes occupèrent de larges territoires et repoussèrent les indigènes dans les montagnes. Aujourd’hui, les Berbères luttent pour leurs droits et leurs cultures.

En Abyssinie, le négus Ménélik II profita de circonstances favorables pour annexer purement et simplement l’Ogaden après la victoire d’Adoua en 1896 où il vainquit le général italien Oreste Baratieri. Un colonialiste africain ?

En Amérique du Sud, les républiques indépendantes d’Argentine et du Chili exterminèrent ou presque les Indiens Araucans qui vivaient en Patagonie dans les années 1850 et exterminèrent complètement les populations indigènes de la Terre de Feu (73.500 km2), à savoir les Alakaloufs, les Yaghans et les Onas qui ne sont plus qu’un souvenir lointain dans les livres d’histoire.

Inutile de parler du Brésil et de sa politique de colonisation de l’intérieur où la FUNAI a été - de fait – l’auxiliaire de gouvernements nationalistes désireux de s’accaparer de la terre des indigènes.

Phénomène intéressant mais largement ignoré : la décolonisation se poursuit.

Après l’Erythrée qui retrouva ses frontières … coloniales, le Somaliland ex-britannique, le Puntland, le Soudan du Sud, nous pourrions voir l’émergence de nouveaux états au Mali (Azawad), en Libye (Cyrénaïque), au Kurdistan et assister à l’éclatement du Nigeria, de la Côte d’Ivoire, du Congo. Les Chinois ne lâcheront pas le Tibet, le Sinkiang et la Mongolie où la répression sanglante continuera dans l’indifférence occidentale, « business is business ».

N’oublions pas que l’Europe, je devrais dire l’Eurasie, compte 24 nouveaux Etats depuis 1991 et que personne n’y trouve rien à redire.

Si nous prenons un autre thème, le Moyen-Âge, remarquons que l’opinion générale considère souvent qu’il s’agit d’une époque rétrograde, où le féodalisme, la religion, la superstition et l’arbitraire faisaient la loi.

Alors que les civilisations chinoises, indiennes, persanes et arabes de l’époque  étaient largement supérieures.

Parcourez l’Europe et ses villes, visitez donc ses splendides cathédrales dont la plupart datent de cette époque et votre simple bon sens remettra en question cette opinion générale.

Savez-vous d’ailleurs qu’au Moyen-Âge, l’Europe a « tout » inventé, à savoir :

L’école, due à l’augmentation de la pression du commerce urbain  au XIIIème siècle

L’université : Paris, Bologne, Oxford, Louvain

La mairie, siège du pouvoir émergent des citadins

Les Etats-Généraux, lointains ancêtres de nos collectivités locales et de la démocratie participative

L’impôt permanent, notamment pour financer la guerre de cent ans

Le moulin à vent qui soulage l’homme de l’harassante besogne de moudre le grain

La charrue qui remplace l’araire et qui permet de labourer plus en profondeur ainsi que la herse qui sert à ameublir le sol

Le fer à cheval qui augmente la durée de vie de l’animal

L’assolement triennal avec la jachère, les céréales d’été et les céréales d’hiver

L’élevage intensif du mouton, ressource principale de la couronne anglaise

La banque moderne et les assurances maritimes

L’artillerie

L’armée professionnelle, notamment en Espagne avec ses ordres militaires

La caravelle, le bateau qui allait permettre les grandes découvertes

Les cathédrales romanes et gothiques

Je renvoie bien volontiers les sceptiques à l’Historia spécial n°7 de septembre-octobre 2012

Abordons maintenant brièvement l’esclavagisme. Il y a quelques semaines, le président français allait se recueillir à la ‘maison des esclaves’ sur l’île de Gorée, en face de St Louis du Sénégal et s’excusait pour la traite négrière, ce qui permettra à certains de tenter d’exiger des dommages financiers.

Pour rappel : l’esclavagisme a été officiellement aboli en Mauritanie en 1981, à Oman en 1970, dans les pays du Golfe, y compris l’Arabie Saoudite, entre les années 1950 et  1960, en Ethiopie en 1933, en Chine en 1910, au Brésil en 1889 -ce qui provoqua d’ailleurs la chute de l’empereur Dom Pedro II-, aux Etats-Unis en 1865, dans l’Empire Ottoman en 1856, en France en 1794 puis en 1848, en Angleterre en 1807.

Vous savez tous qu’il y a eu trois sortes de traites négrières en Afrique, à savoir :

La traite africaine, la plus ancienne, où des Africains se vendaient les uns les autres (Rabah, Samory, Tippu Tip). Cette traite n’a d’ailleurs pas complètement cessé au Soudan et nous avons contribué à libérer des esclaves le 28 février 1992 à l’occasion d’une expédition dans une région perdue du continent. Au début des années septante, un de mes amis a encore recueilli dans son camp de chasse dans le nord du Kenya un Africain qui s’était échappé des mains de ses maîtres soudanais baqqaras après avoir été castré …, une autre de mes connaissances a failli subir ce même sort en Ethiopie en 1946 quand il est tombé aux mains des Danakils sur la route de Djibouti et une troisième, de nationalité grecque, était le fils d’un père qui avait été esclavagiste en Abyssinie jusqu’à son abolition en 1933.

Sans doute 14 millions de victimes d’après le professeur Pétré-Grenouilleau, Les traites négrières, Essai d’Histoire globale, Paris, 2004, Gallimard.

La traite musulmane qui débuta dès le VIIème siècle et prit fin avec … la colonisation européenne au XIXème siècle. Les jeunes filles et les enfants mâles étaient particulièrement appréciés, dans la mesure où on les castrait  pour les harems avec un taux de réussite dérisoire. En général, on préférait renouveler le cheptel des captifs que le laisser se reproduire à l’instar de ce qui se passait dans le nouveau monde où la traite était une affaire de rendement et d’efficacité. Cette traite concernait en particulier le Sahel, l’Egypte et  l’est africain. Sans doute 17 millions de victimes d’après le même professeur Pétré-Grenouilleau.

La traite atlantique qui débuta au XVIème siècle et prit fin dès XIXème siècle. Les Portugais, les Anglais, les Français et les Hollandais furent en particulier impliqués dans ce commerce qui fleurit le long des côtes atlantiques. Cette traite eut été impossible sans le concours d’Etats esclavagistes africains dont les quatre grands royaumes côtiers, le Bénin, le Dahomey, l’Ashanti et l’Oyo durent leur fortune à ce commerce. A l’exception des « pombeiros », mulâtres portugais qui n’opérèrent qu’en Angola, les Européens ne pénétraient pas à l’intérieur du continent et ils ne furent donc quasiment jamais actifs dans les phases de la capture puis de l’acheminement des esclaves vers la côte. Le Golfe de Guinée avait fort mauvaise réputation. En effet, les marins auraient très rapidement succombé à la  malaria, à la fièvre jaune, à la maladie du sommeil et les armateurs avaient besoin de leurs équipages pour assurer la bonne fin de ce commerce triangulaire. Ce commerce prit fin quand les sociétés anti-esclavagistes européennes prirent heureusement le dessus sur les affairistes. Sans doute 14 millions  de victimes toujours selon la même source.

Outre les traites négrières, il y avait également la traite des blancs. La République de Salé fondée au XVIIème siècle par des musulmans chassés d’Espagne qui s’étaient installés sur la côte marocaine près de l’actuelle Rabat, le sultan du Maroc lui-même, les beys d’Alger, de Tunis et de Tripoli capturaient des esclaves sur les côtes méridionales de l’Europe - qui pour cette raison ne se développèrent qu’au début du XVIIIème siècle - et les revendaient sur les marchés domestiques. Ils s’aventuraient d’ailleurs beaucoup plus loin, en Islande en 1627 où les barbaresques capturèrent 500 personnes dont à peine 70 survécurent, aux Etats-Unis, notamment en 1817, où ils ravagèrent les côtes de la nouvelle république. Entre 1540 et 1780, on estime à plus d’un million le nombre d’esclaves européens capturés et vendus en Afrique. La prochaine fois que vous allez visiter Meknès, sachez que ce palais a été construit avec la sueur et le sang d’esclaves anglais.

Encore quelques observations:

Quand nous parlons des conquistadores, nous ne retenons que les noms de Hernando Cortès, Francisco Pizarro et Gonzalo de Quesada, éventuellement Diego de Almagro, Vasco Nunez de Balboa, Pedro de Alvarado, Pedro de Mendoza, Pedro de Valdivia.

Les Conquistadores ont plutôt mauvaise réputation chez nous. On les accuse d’avoir détruit, pillé, saccagé des civilisations entières.

Or, la vérité historique est comme toujours plus nuancée.

La traite atlantique des esclaves était aux mains des Anglais, des Français, des Portugais et des Hollandais, pas des Espagnols.

Les Anglais et les Français arrachèrent de force la Jamaïque (1655) et Hispaniola/Haïti (1687)  aux Espagnols pour en faire des îles consacrées à la culture de la canne à sucre, donc à l’esclavagisme à grande échelle.

Mieux leurs souverains récompensaient même leurs pirates (Drake, Raleigh, Cavendish) et les anoblissaient parfois quand leurs bateaux allaient attaquer les villes espagnoles, y massacraient leurs habitants et s’emparaient de leur or et de leurs richesses.

Le protestant Théodore de Brie qui n’a jamais été voir sur place a dépeint les scènes d’horreur des exactions espagnoles aux Amériques et ailleurs avec beaucoup d’imagination dans des ouvrages de propagande qui ont traversé les siècles.

En fait, les Espagnols, jalousés par les autres Puissances, ont surtout perdu la guerre du « marketing politique » et le paient encore aujourd’hui.

Je vous pose deux questions:

350 puis 500 Espagnols conquirent l’empire aztèque entre 1519 et 1521 dont la capitale Tenochtitlàn, alliée à Texcoco et Tacuba comptait peut-être entre 100.000 et 200.000 habitants.

181 Espagnols s’emparent de l’empire inca entre 1531 et 1536 ; cet empire s’étendait paraît-il sur 1.800.000 km2 et comptait entre 12 et 15 millions de personnes.

L’armement des Espagnols était fort rudimentaire, quelques arbalètes, quelques arquebuses, quelques chevaux.

Comment aussi peu d’hommes ont-ils pu réaliser pareils exploits qui dépassent l’imagination ?

Capture des empereurs-dieux, alliance avec les peuples indiens opprimés, mythe de Quetzcoatl et de Viracocha, guerre civile au Pérou, tactique militaire plus souple, imagination et esprit d’initiative

Posons-nous enfin quelques questions sur l’Espagne musulmane et la reconquista.

Quand on parle de cette époque, on pense immédiatement à  Inquisition, intolérance, expulsion des morisques et des maranos entre 1492 et 1609. En fait, l’Espagne a fait les frais d’une guerre idéologique à l’époque des Lumières dont les penseurs ont mis en valeur le passé omeyyade avec l’émirat puis le califat de Cordoue pour mieux discréditer le catholicisme de l’époque.

Et pourtant,

Savez-vous que le grand cadi Ibn Rushd, le grand-père du grand philosophe arabe Averroès, recommanda l’expulsion des chrétiens d’Espagne dès 1125 suite à l’appui donné par les mozarabes au roi d’Aragon, Alphonse le batailleur ? Mieux il fit déporter une partie d’entre eux en Afrique du Nord où l’on avait besoin de leur savoir-faire agricole.

Savez-vous que sous les Almoravides et sous les Almohades, il n’y eut pas moins de six déportations de ces chrétiens qui furent peu à peu absorbés par le milieu musulman au XIVème siècle ?

(Mudejar – muwallad – mozarabe – morisque – marane)

Pour conclure, quelques questions impertinentes:

Quand la dernière guerre franco-anglaise a-t-elle eu lieu ? entre 1940 et 1942 (Mers el Kebir, l’affaire de Dakar, l’affaire Catroux, Madagascar).

Quand la dernière guerre franco-américaine a-t-elle eu lieu ? en novembre 1942 lors du débarquement des Américains en Afrique du nord (5.000 morts).

Le parti nazi était-il un parti d’extrême-gauche ou d’extrême-droite ?  Pourquoi s’appelait-il alors NSDAP (parti national-socialiste des ouvriers allemands) et a-t-il été fondé par le serrurier Anton Drexler ? Pourquoi les Soviétiques parlaient-ils toujours du « fascisme allemand » au lieu d’appeler un chat par son nom ?

Qu’était Mussolini avant d’inventer le fascisme, aidé par sa brillante maîtresse juive Margharita Sarfatti ? Membre du parti socialiste italien et  patron de son journal, l’Avanti, dès 1912.

Pourquoi Hendrik de Man, le chef du parti ouvrier belge (P.O.B) est-il mort en Suisse en 1953 ? parce qu’il avait fait une erreur d’appréciation en 1941.

Savez-vous ce qui s’est passé les 27 et 28 avril 1944 à Slapton Sands en Angleterre ? 1000 militaires alliés, américains et anglais, ont été tués par erreur dans le cadre de l’opération Tiger, un entraînement en vue du D-Day qui avait mal tourné ; le 6 juin 1944, 2.500 soldats sont tombés au champ d’honneur sur les plages de Normandie.

Comme vous pouvez le constater, mesdames et messieurs, la connaissance de l’Histoire permet de mieux comprendre les événements, de les relativiser et de les remettre dans leur contexte spatio-temporel.

Un amateur d’Histoire sait instinctivement faire la part des choses et comprend parfaitement qu’on ne peut pas résumer un problème complexe en trente secondes au Journal Télévisé de 20 heures.

Avant ces quelques escapades intellectuelles, je vous avais parlé brièvement des activités de nos fondations et je vous les résume ici en guise de conclusion.

1970 : Studium Arenbergense asbl

1981 : Arenberg Stiftung

1997 : Archives et Centre Culturel d’Arenberg

2010 : Fondation d’Arenberg

3 collaborateurs à temps partiel, 2 comités scientifiques, 1 conseil de fondation

Archives : 1000 mètres courants (AGRB : 1000 mètres courants/ KUL) : accès au public, restauration, inventorisation, digitalisation

3 Prix : prix d’histoire ‘duc d’Arenberg’, prix d’excellence européen Arenberg Coimbra, prix Fondation d’Arenberg – Collège de l’Europe

Conférences : Amsterdam, Groningen, Paris

Dîners-débats :  France, Europe, Lien transatlantique, Russie, Suisse

Publications d’ouvrages

Routes historiques : route de la Marck, route d’Arenberg

Expositions

Musée public

Je vous remercie pour votre patience,